DESERTIONS (ou l'état usé du monde)
Nous oublierons le monde. Nous le perdrons. Cela arrive.

Je marche depuis des jours et je crois être arrivée loin dans l’état usé du monde, à cet endroit-là, des confins de ce qu’il fut.

Elle est passée la vie le long des routes. Je le vois.


Je suis arrivée quelque part où quelques petites choses bougent encore. Sur les corps perdus, absents, je me perds maintenant en moi. Je retrouve dans les objets des chairs anciennes. Je les ré-invente. Je marche avec elles, me mélange aux corps. Partout où se porte mon regard.






Les tissus, les lits, les fenêtres se noient maintenant dans la terre, se fondent en sols. Souffles, vents et pluies vont et viennent dans ces intérieurs qui ne sont plus vraiment, se frottent aux murs, en réduisent les épaisseurs, les font se décharger. Les couleurs réapparaissent, lustrées. On a le sentiment de la couleur brute, du pigment lui-même au sein même de l’usure.Friable matière, je vois des pans entiers de bâtis emmêner avec eux les poussières qui leur avaient été jusque-là fidèles, en eux compressées, les redélivrant dans leurs effondrements, aux sols, aux airs.





Les arbres autour protègent comme ils le peuvent ce qu’il reste encore.